Il est courant dans le débat public de souligner la menace qui pèse sur les entreprises françaises lorsqu’elles sont achetées par des actionnaires étrangers, surtout lorsqu’elles sont des fonds souverains (fonds publics) en Chine ou au Moyen-Orient. Mais sommes-nous confrontés à une invasion de capitaux étrangers en France ?
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Certaines opérations publiées contribuent à croire que les entreprises françaises seront rachetées par des pays émergents : l’acquisition de 49 % du capital de l’aéroport de Toulouse Blagnac par un consortium chinois en 2015 ou l’acquisition par le Qatar, en plus de Paris-Saint-Germain (PSG), a quelques pour cent de de grandes troupes françaises (Total, Vivendi, Veolia…). Étant donné que l’Émirat est représenté dans les conseils d’administration des grands groupes pour lesquels il acquiert ses actions, ces opérations sont généralementtrès visible. Cependant, il tend à dissimuler la principale source de capitaux étrangers en France, même s’il n’est pas difficile d’accorder des ordres de grandeur sur les participations des sociétés françaises, en particulier sur les participations non résidentes.
Plan de l'article
Catégories d’actionnaires
Il peut y avoir un aperçu de la participation des entreprises françaises en raison des comptes de patrimoine publiés par la Banque de France. C’est l’exercice que j’ai fait dans un article récent. Les actionnaires peuvent être regroupés en cinq grandes catégories : 1) les sociétés financières (banques, compagnies d’assurance, etc.) ; (2) les sociétés non financières (industrielles etles propriétaires commerciaux en possèdent d’autres, formant ainsi des entreprises connues sous le nom de « groupes d’entreprises ») ; 3) ménages (propriété familiale et petits déposants) ; 4) État ; 5) non-résidents (étrangers et français résidant à l’étranger).
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Pour ce dernier, il est possible de connaître le type de participation qu’ils détiennent dans des entreprises françaises : soit un « investissement de portefeuille » (moins de 10 % du capital d’une entreprise), soit un « investissement direct à l’étranger (IDE, plus de 10 % du capital et donc avec un objectif stratégique de contrôle). Il est également possible de déterminer la source de ces exploitations au cours d’une période récente.
Evolution de la participation en France
En se concentrant d’abord sur les plus grandes entreprises françaises (cotées en bourse), il y a quelques tendances majeures depuis la fin des années 1970. Ménages,les sociétés non financières et l’État français ont diminué leur part de près de 70 % de leurs avoirs à 40 %. Cela reflète le mouvement de privatisation, la plus faible interdépendance des actionnaires des grands groupes industriels et le déclin de la propriété directe des actions par les investisseurs (qui préfèrent désormais les investissements dans des produits financiers proposés par les banques et les compagnies d’assurance).
Ce sont ces sociétés financières qui, récoltant des économies, les placent désormais en actions : il n’est donc pas surprenant que leur part dans la participation française soit passée de 20 % à près d’un tiers entre 1977 et 2004… avant de tomber à 20 % aujourd’hui, une baisse que nous allons essayer de l’expliquer plus bas.
Le plus dramatiqueévolution est la croissance de la participation des non-résidents depuis le début des années 1990. Les deux explications bien connues de ce phénomène sont internes et externes. La libre circulation des capitaux introduite en Europe — et vis-à-vis des États-Unis — au début des années 1990 a marqué le point de départ de la croissance des avoirs non-résidents en France.
Au milieu des années 1990, ce sont les grandes entreprises françaises qui ont vendu leur capital dans d’autres sociétés françaises et vendu leurs actions aux principaux détenteurs d’épargne qui avaient désormais dégroupé l’accès au marché européen : les sociétés financières américaines (en particulier les fonds d’investissement qui gèrent les fonds de pension, c’est-à-dire les agences d’investissement). pour l’épargne-pension des employés). Depuis la fin des années 1990, les non-résidents détiennent 40 % de la capitalisation boursière française et 15 % de la capitalisation non commerciale, ce qui représenteprès du quart de la capitalisation totale de la France. Ces avoirs représentent actuellement la moitié des investissements d’IDE et la moitié du portefeuille, tandis que l’IDE ne représentait que 15 % des participations non résidentes en 1990. Les paradis fiscaux jouent un rôle important dans cette évolution.
Le poids croissant des « paradis fiscaux » européens…
La source des intérêts des non-résidents depuis le début des années 2000 est marquée par l’importance des États-Unis dans les investissements de portefeuille. Les sociétés financières de ce pays sont entrées massivement dans le capital des entreprises françaises à la fin des années 1990.
Cependant, la nouveauté de la holding non-résidente est due à l’importance des « paradis fiscaux » européens, y compris le Luxembourg et les Pays-Bas, pour les investissements étrangers directs et les investissements de portefeuille. En moyenne,entre 2001 et 2016, 29 % des IDE et 16 % des investissements de portefeuille en France proviennent directement de ces deux pays. Ils détiennent donc 20 % des actions françaises détenues par des non-résidents.
Leur croissance au cours de cette période est spectaculaire : entre 2001 et 2016, les IDE au Luxembourg et aux Pays-Bas sont passés d’un quart à un tiers des IDE en France et les investissements de portefeuille ont augmenté de 12 % à 19 % de ce type de capital. Cette croissance a été stimulée en 2005. Il semble évident que ces pays jouent désormais un rôle de plateforme pour les actionnaires, français ou étrangers, qui souhaitent bénéficier d’une imposition avantageuse des bénéfices ou des dividendes.
Les nouvelles méthodologies d’identification des IDE contribuent à éclairer ce point en différenciant la source directe et finale de ces investissements.
Il convient de souligner que, en ce qui concerne le capital, le concept de résidence fiscale est plus important que celui de la nationalité. Examinons le cas d’une personne physique de nationalité française résidant en Belgique et qui possède les actions d’une société française : elle sera considérée comme un actionnaire non-résident.
Pour les affaires, les choses sont encore plus simples. Une société légalement enregistrée (créée) en France est résidente française, son domicile indiquant le pays dans lequel la société paie son impôt sur les sociétés. Cela est important parce que la plupart des grandes entreprises prennent la forme de groupes d’entreprises, avec une société mère qui possède un ensemble de sociétés filles, appelées à juste titre « filiales ». Ces filiales peuvent être propriétaires d’autres filiales elles-mêmes, mais elles contrôlentLeur finale reste entre les mains de la société mère. Ainsi, un groupe peut domicilier sa société mère en France, qui possède une filiale au Luxembourg, cette dernière possède elle-même une filiale en France.
L’intérêt de la transaction est de pouvoir transférer les bénéfices de la société en fin de chaîne à la société située au Luxembourg : la production française peut être vendue à un prix bas à la filiale luxembourgeoise (ci-après le « prix de transfert »), qui exportera les produits pour le compte du groupe (donc à un prix élevé). Bien entendu, les bénéfices, qui sont imposés au Luxembourg, ne peuvent pas être imposés pour la deuxième fois en France lorsqu’ils sont rapatriés en raison des conventions fiscales reliant les deux pays. Cependant, l’entreprise en fin de chaîne sera considérée dans les statistiques publiques comme une entreprise contrôlée à l’étranger, alors qu’elle appartient finalement à unGroupe français.
… au nom de la France et des États-Unis
Ce dernier exemple est assez courant, puisque 4 % des IDE en France sont finalement réalisés par des groupes français à travers les Pays-Bas ou le Luxembourg. Cette réalité trouve une illustration sur une page du site internet de l’ambassade de France au Luxembourg en août 2006, qui se vante de ces industriels français qui « ont développé des structures d’exportation : de grands groupes tels que Saint-Gobain, Air Liquide ou Total, mais aussi de nombreuses PME, parmi lesquelles certaines sont les premières dans un marché international, avec la majeure partie du chiffre d’affaires à l’exportation ».
Ce qui est vrai pour la France est vrai pour d’autres pays. Ainsi, 8 % des IDE en France sont finalement réalisés par les États-Unis, mais transitent par le Luxembourg ouPlus bas. Au total, la moitié des IED dans ces deux « paradis fiscaux » sont enfin réalisés par des groupes d’autres pays.
Il n’est pas possible de prêter à une telle année avec des participations de portefeuille, mais il peut être douteux que si les Pays-Bas et le Luxembourg sont avantageux pour les IDE, ils sont également susceptibles d’être avantageux pour les participations en actions. Moins de 10 % du capital, d’autant plus que le Luxembourg est spécialisé dans la gestion de l’Europe. portefeuille. On comprendra alors mieux pourquoi les sociétés financières françaises détiennent de moins en moins — directement — des actions dans des entreprises françaises. Ils les maintiennent indirectement dans les « paradis fiscaux » européens. Diminution de leur part dans la holding française
a débuté en 2005, au moment où les Pays-Bas et le Luxembourg sont devenus plus avantageux pour l’IDE par leFrançais et américain.
Enfin, les États-Unis restent de loin les premiers détenteurs de portefeuille directs en France (un tiers), mais aussi les premiers détenteurs d’IDE (20 %). Les autres actionnaires non-résidents sont essentiellement d’autres pays européens riches. La Chine et les pays du Proche et du Moyen-Orient ne sont pas propriétaires d’eux, à peine plus de 1 % des actions françaises.
Par conséquent, la part de propriété des entreprises françaises reste essentiellement interne. Toutefois, la participation non-résidente n’est pas négligeable et augmente avec la taille des sociétés : elle correspond à 25 % du capital de toutes les sociétés françaises, mais elle n’atteint que 40 % pour les sociétés cotées en bourse.
Deux pôles se distinguent clairement par la participation étrangère : les États-Unis, d’une part, et les « paradis fiscaux » européens de l’autre. Les États-Unis ont contribuéce qui est significatif pour la diffusion des normes de rentabilité que les actionnaires français ont rapidement adoptées, y compris les sociétés financières (c’est donc plus important aujourd’hui que la résidence de l’actionnaire). Le Luxembourg et les Pays-Bas sont devenus une étape budgétaire importante pour les investissements des entreprises françaises et américaines en France. Ces pays sont également plus directement des « parcelles d’asile fiscal » pour les chefs de groupe qui y ont déménagé leur siège social, tandis que la majeure partie de leur activité est située sur le territoire français (Airbus Group, STMicroelectronics, ArcelorMittal…).
En tout état de cause, les tendances macroéconomiques dans les pays développés montrent qu’une imposition plus faible et plus faible des revenus permet de répartir davantage d’actionnaires, mais ne conduit pas nécessairement à davantage d’investissements. S’il faut en être convaincu, la redistribution des richesses est en effet l’un des principaux défis de notre époque.